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             II – LES  EFFETS  PSYCHOLOGIQUES DE L’ESCLAVAGE

 

Les injustices, humiliations et privations subites par les esclaves sont telles et ont duré si longtemps que ce traumatisme semble marquer jusqu’à leurs descendants surtout leur mental. Et c’est dans le comportement et les expressions de ces derniers que se lisent les conséquences psychologiques de leur douleur.

Nous verrons les blessures anciennes et actuelles ; les séquelles et survivances de la traite, à travers le colonialisme et le néocolonialisme ; les effets psychologiques et leur réparation.

 

A – LES BLESSURES ANCIENNES ET ACTUELLES

 

            L’humanité a connu deux grandes périodes d’esclavage. La première fait partie de l’évolution naturelle en colimaçon de la société  et se situe entre la société primitive et l’avènement du féodalisme. Cette période a duré quelques centaines d’années, selon Friedrich Engels, philosophe et économiste allemand, ami de Karl Marx dans  « origine de la famille ».

            La deuxième a été une organisation inhumaine du travail mondialisé pour amener l’industrialisation naissante à son apogée.

 

a)    - Codification et institutionnalisation de la traite.

 

« Les africains exportés vers le nouveau monde fournissaient la force de travail des plantations coloniales, plus rarement celle des mines dont les produits – Or, argent et surtout sucre, cacao, coton, tabac alimentèrent très longtemps le négoce international » a écrit Mr. Elikia M’Bokolo, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, dans le Monde Diplomatique N° 529 d’Avril 1998, à la page 16.

Le système était bien huilé et si  bien rentable pour les économies des pays européens qu’il fallait lui donner des cadres juridiques afin d’en assurer la perpétuation. Puisque par ailleurs ce système constituait la forme la plus répandue de l’organisation du travail de la planète.

C’est Colbert qui promulgua le « Code Noir » définissant le statut juridique des esclaves en 1685. Cependant, « Avant la publication du « Code Noir », les esclaves étaient déjà considérés à tous effets transactionnels, testamentaires et fiscaux comme des biens meubles… » écrit Louis SALA-MOLINS, professeur de philosophie politique à Toulouse II, dans son livre intitulé  «  Le Code Noir ou le calvaire de Canaan » à la page 178.

            Le Code Noir est le nom donné dans les îles françaises de l’Amérique à l’ordonnance du roi Louis XIV du mois de Mars 1685, touchant la police des îles et ce qui doit s’y observer principalement par rapport aux nègres selon le dictionnaire de Jacques SAVARY  1723

Ce code stipule en son article 44 : « Déclarons les esclaves être meubles, et comme tels entrer en la communauté… »à la page 178

On peut y lire aussi à l’article 12 que « les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents ».page 114.

Enfin à la page 157, l’article 33 nous apprend que « Si par accident involontaire, un esclave, en se défendant contre les violences de son maître, avait le malheur de le blesser, il serait brûlé vivant ».

Tout était mis en place pour que l’esclave dans tous les cas soit condamné d’avance. Il en était de même  chez les Anglo-saxons où les esclaves n’étaient pas mieux traités.

            Nous savons que les belles femmes esclaves étaient courtisées de nuit par leur propriétaire lorsqu’elles n’étaient pas tout simplement violées. De ces relations secrètes naissaient de multitudes d’enfants métis qui devenaient une part importante de la population esclave.

            Un gouverneur demandant à partir de quelle génération les « sangs-mêlés » pouvaient rentrer dans la classe des Blancs et être exemptés de capitation, reçut cette réponse du ministre de la marine : « Il faut observer que tous les esclaves ont été transportés aux colonies comme esclaves, que l’esclavage a imprimé une tâche ineffaçable sur toute leur postérité, même sur ceux qui se trouvent d’un sang-mêlé ; et que , par conséquent , ceux qui en descendent ne peuvent jamais entrer dans la classe des Blancs. Car s’il était un temps où ils pourraient être réputés blancs, ils jouiraient alors de tous les privilèges des Blancs et pourraient, comme eux, prétendre à toutes les places et dignités, ce qui serait absolument contraire aux constitutions des colonies » Code Noir page 195.  

            Les conditions inhumaines de travail dans les champs ainsi que l’alimentation défectueuse faisaient périr nombre d’esclaves, mais les auteurs de ces méfaits étaient couverts par le « Code Noir », les esclaves n’étant pas considérés comme des êtres humains.

La traite avait permis aux gouvernements européens de développer leur économie jusqu’à leur apogée. C’est la raison pour laquelle ils l’avaient codifiée ouvertement, en ce qui concerne la France ou institutionnalisée implicitement en ce qui concerne la Grande Bretagne, la Hollande, l’Espagne, le Portugal et les autres.

Même le Pape Nicolas V avait autorisé le roi du Portugal à conquérir les terres et à pratiquer « le juste commerce des païens Noirs » en 1454.

Ainsi, l’Eglise avait béni l’assimilation des êtres humains à des objets et de ce fait encouragé leur maltraitance.

            Et dire que le Code Noir , est « l’œuvre de Colbert , inspiré à la fois de la Bible et du droit  romain, du christianisme et du droit canonique, a écrit Louis SALA-MOLINS professeur de philosophie politique à l’Université Toulouse II en citant PEYTRAUD  page 438.

Tout s’était passé à l’époque comme si les Indiens, les Amérindiens et les Africains rencontrés dans leur propre espace de vie n’avaient ni biologie, ni culture ni âme.

 

 

            b- Les blessures profondes et les séquelles de la traite

1-    Les mauvais traitements

Nous allons donner une bref aperçu de la manière dont étaient traités les esclaves par une citation du livre de Leon BLOY, livre intitulé :  « La France et le sang des Africains. ». Citation faite par Tovalou K : « …Pour ne parler que des colonies françaises, quelle clameur si les victimes pouvaient crier (…). Pour si peu qu’on soit dans la tradition apostolique de Christophe Colomb, où est le moyen d’offrir autre chose qu’une volée de mitrailles aux équarisseurs d’indigènes, incapables, en France, de saigner le moindre cochon, mais qui, devenus magistrats ou sergent-majors dans les districts fort lointains, écartèlent tranquillement des hommes, les dépècent, les grillent vivants, les donnent en pâtures aux fourmis rouges, leur infligent des tourments qui n’ont pas de nom, pour les punir d’avoir hésité à livrer leurs femmes ou leurs derniers sous.

Et cela c’est archi-banal, connu de tout le monde, et les démons qui font cela sont de fort honnêtes gens qu’on décore de la Légion d’honneur et qui n’ont pas même besoin d’hypocrisie. Revenus avec d’aimables profits, quelques fois avec une grosse fortune, accompagnés d’une longue rigole de sang noir qui coule derrière eux ou à côté d’eux, dans l’invisible – éternellement ; -ils ont écrasé tout au plus quelques punaises dans de mauvais gîtes, comme il arrive à tout conquérant…. »

 

                        2- L’abandon des bagages culturels d’origine

 Les esclaves ne devaient plus porter leur nom ni leur prénom. Ce qui est un acte préjudiciable pour un individu que l’on dépouille consciemment de son identité. Les esclaves ne devaient porter désormais que le nom du propriétaire qui les avait achetés.

De même, ils devaient renoncer à leur croyance d’origine. Ils étaient également privés de toute liberté de pensée, d’action et de mouvement. Leur langue d’origine finit également par disparaître avec le temps.

 

-         3 -les préjugés raciaux :

 

L’esclavage a créé ce qu’on appelait aux XVIII éme et XIX éme siècles, le préjugé de couleur : une hiérarchie des couleurs de peau avec à son sommet la couleur blanche.

 

            Le racisme est donc le refus de reconnaître l’existence de l’autre qu’on décrète inférieur à soi. Cette notion ne repose sur aucune donnée scientifique ni génétique.

Seule la mélanine permet de faire la différenciation entre Noir et Blanc. En effet, la mélanine est un pigment brun foncé qui donne la coloration normale (pigmentation) à la peau, aux cheveux et à l’iris (des yeux). (Petit Robert)

            La mélanine est simplement très abondante chez les individus à peau noire. Son absence congénitale entraîne l’albinisme. Les albinos se trouvent par conséquent dépourvus de la pigmentation de la peau. Et cette dépigmentation peut se produire aussi bien chez certains Noirs que chez certains Blancs.

Par contre, la présence pathologique de la mélanine provoque le cancer de la peau qu’on appelle Mélanome qui peut apparaître aussi bien chez les Blancs que chez les Noirs.

Peut-on alors conclure que c’est l’ignorance qui induit certains individus en erreur lorsqu’ils manifestent ce sentiment de mépris ou de racisme vis-à-vis de leur prochain ?

 

Il a fallu que « des savants allemands démontrent scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand » …pour diminuer la frénésie des théoriciens de la supériorité des Blancs sur les Noirs.  Cf. Georges Clemenceau, « Réponse à Jules Ferry », chambre des députés, Paris , 30 Juillet 1885. Dans le Monde Diplomatique de Novembre 2001 P.28.

Georges Clemenceau qui par ailleurs au cours de ce long discours prononcé, en réponse à la plaidoirie de la politique de Jules Ferry sur la supériorité de la race blanche sur la race noire,  pourfendait l’inanité de la colonisation jusque dans son principe : «  Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre des nations inférieures. » Il appuya sa thèse par les cultures indiennes, chinoises (Hindous, Conficius) ainsi que leurs civilisations pluri-millénaires.

 

                             4- La discrimination

Un code, appelé « EBONI » inscrit sur le dossier de demande de logement d’un étranger, particulièrement un demandeur noir de peau, autorise officieusement le responsable administratif du dossier à le jeter à la poubelle sans obligation de justification.

            Le refus d’embaucher un postulant noir de peau à un poste que satisfont pourtant ses compétences est à classer dans cette rubrique.

            Les contrôles intempestifs des papiers au faciès par la police nationale aussi.

 

-         5- Le déni d’intelligence

La notion d’intelligence est une notion tout à fait relative. Elle n’est pas liée à la couleur de la peau. Sauf les cas de crétinisme, tous les êtres humains naissent intelligents. Ce qui les différencie par la suite est essentiellement, l’environnement au sein duquel ils vont grandir et évoluer, ainsi que les conditions de vie qu’on leur offrira pour développer leur intelligence.

Aussi, lorsque James WASTON, illustre Prix Nobel en 1962 pour avoir découvert avec François CRICK la structure en double hélice de l’ADN, affirme que « les Africains sont moins intelligents que les occidentaux », un simple sourire amusé ne doit pas suffire en pensant qu’il est peut-être devenu sénile avec l’âge. Car le tollé suscité par ses propos négationnistes n’ont pas été à la hauteur de sa provocation. Encore moins lorsqu’il ajouta au sujet de l’égalité des humains « les gens qui ont des employés Noirs découvrent que ce n’est pas vrai » Cf. Canard Enchaîné du mercredi 24 Octobre 2007.

            Pour démentir ces préjugés et idées reçues, nous allons évoquer quelques cas intéressants.

1-     Le général Toussaint LOUVERTURE. (1743-1803)

Né à Haïti d’un père esclave venu du Dahomey l’actuel Bénin, il a pu mettre en déroute les armées de la couronne britannique et infliger une humiliation au puissant Bonaparte Napoléon invincible pendant ses guerres en Europe. C’était en 1797. Ce fut lors de la libération des esclaves de l’île et de la proclamation historique de son indépendance que fut lancer pour la première fois le mot d’ordre « Liberté et Egalité ». Plus tard, le mot « Fraternité » y sera rajouté pour toute la France. Le monde découvrait pour la première fois un génie militaire noir.

 

2-     Le chevalier de Saint-Georges (1739-1799)

Né d’une mère esclave Sénégalaise et d’un père planteur noble d’origine picarde Guillaume Pierre Tavernier de Boulogne.

Doué de talents multiples, il était le meilleur escrimeur, danseur, violoniste et compositeur. En 1775, l’Almanach musical qualifiait sa formation de « meilleur orchestre pour les symphonies qu’il y ait à Paris, et peut-être dans l’Europe »…Nommé Directeur de l’Opéra royal par Louis XVI…

Après le triomphe de la révolution française en 1789, la Convention décréta l’abolition de l’esclavage pour la première fois le 4 Février 1794.

Napoléon en le rétablissant en 1802 , fit brûler les œuvres de création musicale du Chevalier de Saint-Georges, œuvres comparées à celles de Mozart. Afin dit-il qu’on ne puisse pas dire un jour que le cerveau d’un Noir ait des capacités comparables à celles du cerveau d’un Blanc.

 

3-      Abraham HANIBAL

Né en 1696 à Logone au Nord du Cameroun, il fut raflé et vendu à l’âge de 7 ans.

Après un périple par Constantinople où il fut page du Sultan Ottoman Ahmed III, il sera recueilli par le Tsar de Russie Pierre le Grand dont il devint le fils adoptif. Le Tsar lui fit faire des études brillantes en France. Son génie créateur aidant, il devint l’une des plus importantes personnalités de l’empire russe. « Il fut directeur général des fortifications, et chef du corps des Ingénieurrs, auteur de deux traités de géométrie et de fortification destinés aux élèves ingénieurs. Il introduisit l’enseignement de l’architecture civile dans les écoles d’ingénieurs militaires de Russie. » Cf L’aïeul noir de Pouchkine de Dieudonné Gnammakou (Historien et écrivain).

Génie militaire, Mathématicien, Fortificateur et Hydraulicien, Abraham HANIBAL mourut en 1781 à l’âge de 85 ans.

            Son petit-fils Alexandre POUCHKINE (1799-1837) fut à son tour le fondateur de la littérature russe moderne.

 

            4- James Robinson JOHNSTON, métis né en 1876 à Halifax au Canada. Il était docteur en droit et en lettres et président d’Université.

Il estima que la meilleure manière d’aider les Noirs est l’Education et créa des Instituts d’Agronomie notamment. Il a excellé dans le droit criminel et a beaucoup travaillé et milité contre la discrimination au Canada. Mais ses activités ne furent pas du goût de tout le monde et il fut assassiné en 1915 à l’âge de 39 ans.

 

            5 – Plus près de nous est le Malien Cheik MODIBO DIARRA qui se définit lui-même comme un soldat du développement de l’Afrique.

Astrophysicien à la Nasa, il y est célèbre par sa participation scientifique remarquable.

En 2006, interviewé par la presse, il dit en substance : « Les organismes internationales s’émeuvent de la fuite des cerveaux tout en volant les cerveaux africains. Nous bénéficions d’une jeune génération qualifiée, malheureusement pas en mesure, en Afrique, de faire valoir ses compétences. L’Afrique dispose aujourd’hui de nombreux jeunes très compétents, tout à fait capables d’utiliser ces technologies comme leurs homologues du monde entier, mais ils vivent dans un environnement où les investissements n’ont pas suivi ni dans les infrastructures ni dans les recherches… »

Ce qui revient aux idées que nous avons exposées plus haut, à  savoir que l’intelligence n’est pas liée à la couleur de la peau, mais bel et bien aux conditions de vie et de développement.

 

            Les travaux des chercheurs allemands (STRASBURGER) ont décrit les chromosomes pour la première fois en 1875. Et depuis, les recherches ont montré que l’Homme possède 23 paires de chromosomes soit 46 au total, qu’il soit Blanc ou Noir.

            Les découvertes plus approfondies ont prouvé depuis ce temps que l’espèce humaine possède un patrimoine génétique unique qui le différencie des autres espèces animal et végétal. Notamment par son Acide Désoxyribonucléique (ADN), et son Acide Ribonucléique (ARN).

            Il existe donc une et une seule race humaine et l’Homo Sapiens est un et un seul.

Et jusqu’à nouvel ordre, Blancs et Noirs appartiennent à la même race.

Signalons en passant qu’aucune séquence correspondant à l’intelligence n’a encore fait l’objet de découverte. Par conséquent, les préjugés raciaux ainsi que le déni d’intelligence tout comme les railleries avilissantes et humiliantes qui les accompagnent sont une forme de blessures anciennes et actualisées à dessein afin de maintenir en permanence le Noir dans une posture du diminué.