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            B- les ressentis des descendants d’esclaves et des esclavagistes

Les ressentis liés aux traumatismes sont nombreux. Et on peut citer entre autres :

 

1- Le complexe permanent de supériorité que continuent encore d’éprouver un « Béké » de nos jours dans les îles du Caraïbe et son homologue « Oreilles ou Oreilloles de l’île de la Réunion. Mais également celui d’infériorité qu’éprouvent les descendants des victimes qui continuent de désigner leurs compatriotes par ces substantifs.

 

2- La culpabilité partagée par les uns et les autres des deux côtés relève d’une manifestation psychologique d’un traumatisme non réparé.

 

3- La crise identitaire.

Parmi les ressentis dénombrés, la crise identitaire est l’un des plus importants notés. « 150 ans après l’abolition de l’esclavage, le Martiniquais éprouve encore un grand malaise à exprimer son passé historique et c’est souvent avec une certaine gène qu’il envisage sa filiation avec l’Afrique », a écrit Richard CHATEAU-DEGAT pour la quatrième couverture de son livre intitulé « La Traite Des Noirs de l’Afrique à l’Amérique.

« Autant dire que le préjugé racial, le complexe d’infériorité, la honte de sa propre « noirceur » et de son africanité restent plus présents qu’on ne veut souvent l’admettre chez nous » a-t-il ajouté.

Mais ce constat n’est pas valable que pour les Martiniquais ni pour les Guadeloupéens. Il est également bien valable pour tous les individus de peau noire auxquels on a fait croire pendant des siècles que non seulement la noirceur de leur peau les met d’office hors du genre humain, mais particulièrement que leur cerveau ne recèle pas les mêmes attributs de la matière grise que le cerveau des Blancs.

 

4- Le sentiment de rejet

Le métissage massif est une conséquence de l’esclavage. La domination des maîtres sur leurs esclaves dans les îles et colonies autorisait également ces derniers à se soumettre les femmes noires appelées négresses avec lesquelles ils avaient de nombreux enfants métis sans qu’aucun mariage ne soit consenti. Certains de ces enfants souffrent des difficultés à les ranger franchement dans la société ni parmi les Noirs , ni parmi les Blancs. Ces souffrances engendrent des malaises qui se transmettent de génération en génération.

 

5- L’agacement par la présence des populations immigrées

Au temps de la traite, les esclaves n’étaient pas seulement vendus pour aller travailler dans les mines et les plantations. Ils étaient également achetés par tous ceux qui en avaient les moyens et chacun en avait un ou deux, voire dix ou plus selon l’usage qu’il désirait en faire.

Les familles bourgeoises, les bouchers, les tailleurs, les boulangers en faisaient l’acquisition soit pour le ménage à leur domicile, soit à leur atelier comme ouvriers sans que le salaire suive.

Par ailleurs, pour les hommes de la haute société, cela faisait bien d’avoir une maîtresse noire. Tandis que certains en faisaient le petit commerce. C’est le cas de quelques philosophes du siècle de lumière. Ainsi « Quand Chateaubriand mourut en 1794, il lui restait 150.000 livres d’arriérés à percevoir, non compris les intérêts accumulés » selon R Château-Degat à la page 140 de son livre.

C’était au XVIIIéme siècle. Aujourd’hui, nous en sommes au XXIéme et rien ou presque ne change pour les populations de ces pays autrefois ravagés et vidés par razzia et déportation de leurs valeureux fils de force. Aujourd’hui donc, c’est l’instinct de survie qui pousse les demandeurs d’asile économique et politique à prendre la direction des pays d’Europe. Officiellement ou clandestinement.

« Pour les sociétés européennes donc, la conséquence lointaine d’avoir déporté des êtres humains est aujourd’hui une présence physique d’une population émigrée composée des ressortissants des « vieilles colonies ». Et aucune loi n’arrive à endiguer ce phénomène qui ira en s’amplifiant. » Cf : Albert M’Paka dans « exposé sur la Commémoration de la Mémoire de l’esclavage.

 

6-      Des manifestations du syndrome de schizophrénie

Il s’agit de la forme psychique de ce mal qui se manifeste par la désintégration de sa personnalité et par le divorce avec la réalité. Les comportements singulier et de foule induits par cette souffrance se lisent dans la violence verbale ou physique.

A force d’entendre dire « qu’il est moins que rien », le destinataire de ces paroles finit par y croire et accepte passivement sa propre dévalorisation. Par contre lorsque l’occasion d’une confrontation se présentera à la suite d’un différend, sa riposte serait disproportionnée, dépassant les limites attendues.

C’est pourquoi au cours des conflits sociaux en France, par exemple, en observant parfois les syndicats d’Outre-Mer au cours de leurs manifestations pourtant légitimes contre la vie chère, ils donnent l’impression de cumuler leur cri d’étouffement lié aux séquelles de l’esclavage qu’ils vivent encore avec les revendications corporatistes ; leurs homologues de la Métropole n’ayant pas ces contentieux parmi leurs préoccupations.

 Face à cette même situation, d’autres anciens esclaves ou descendants pourraient demeurés éteints, ayant trop intégré le sentiment de nullité seriné. Ils tiennent la désintégration de leur personnalité pour acquis et irréversible, sans espoir de se défendre, même si on leur signifie la fin de leur calvaire.

Nous avons eu l’occasion de vivre ce cas en Afrique du Sud lors de la conférence mondiale de l’ONU contre le racisme en 2001 tenue à Durban.

En prenant mon ticket de transport à Johannesburg un jour pour aller à Maputo au Mozambique, les Noirs Sud Africains qui avaient eux aussi leurs tickets ne sont pas montés dans le bus alors que moi j’ai été m’installer à une place de mon choix.

Mes voisins de siège m’expliqueront plus tard qu’ils avaient attendu que les Blancs aillent d’abord choisir leur place assise. Cela se passait en 2001 alors que l’apartheid était aboli depuis 1990 et que Tabo M’BEKI avait succédé à Nelson MANDELA comme deuxième président noir de l’Afrique du Sud !

 

c- Autres aspects des effets  psychologiques

            La prolongation du système de la traite par le colonialisme puis le néocolonialisme maintient béante la plaie des blessures reçues par les victimes et leurs descendants.

« La colonisation, système d’une brutalité inouïe, s’accompagne d’une domination culturelle. Par le biais de l’école, les pays européens imposent leur langue, leur histoire et leur religion… » Cf. Réponse de Georges Clemenceau à Jules Ferry dans Manuel d’Histoire Géographie classe de 4éme : L’Europe à la conquête du monde. (Hachette 2006). « Nos ancêtres les Gaulois… » apprenait-on aux petits Africains à l’école !

Toujours dans cette réponse de Clemenceau à Jules Ferry, nous avons noté que « Pour les Etats européens, les colonies représentaient et représentent encore de nos jours, un débouché à leurs produits industriels et à leurs capitaux, ainsi qu’une zone d’exploitation des matières premières. Politiquement, la possession de colonies est l’expression de la puissance d’un Etat. Les pays européens justifient aussi leurs conquêtes par la nécessité de « civiliser » des peuples présentés comme inférieurs ».

« L’idée de la supériorité de « l’homme blanc » s’appuie sur la théorie de la « hiérarchie des races » largement diffusée par la presse, les manuels scolaires, les expositions avec leurs spectacles « indigènes ».

Les arguments fallacieux qui ont servi à la mise sous tutelle des peuples colonisés, ont été amplifiés par l’église catholique. C’est ainsi que l’on pouvait apprendre du théologien espagnol François de Vittoria vers 1532 ce qui suit : « La providence ayant créé l’Univers pour tous les hommes, nul ne peut faire obstacle à ce que tous les hommes aient libre accès aux richesses de ce monde ; de même l’Evangile ordonnant : « allez, enseignez toutes les Nations », nul ne peut légitimement faire obstacle à la prédication religieuse »…Si donc les barbares (les Indiens d’Amérique, mais par extension à tous les peuples coloniaux) font obstacle par la force au désir des étrangers de prendre leur part aux biens du pays, ceux-ci auront le droit de riposter par la force et de garantir leur sécurité en occupant le pays et en soumettant les populations ». Citation repris par Joseph Folliet dans « Le droit de colonisation ». Paris, Blond et Gay 1930.

 

Quant à Albert Sarraut, illustre théologien, il évoque en 1931 pour justifier les barbaries commises par les colons, « le droit de la colonisation à la mise en circulation des ressources que des possesseurs débiles détenaient sans profit pour eux-mêmes et pour tous »…Cf : Suret Canale Professeur d’histoire géographie dans son livre « L’Afrique Noire-L’ère coloniale 1900-1945 à la page 144 et 145.

 

C’est ce système mis en place depuis l’esclavage qui a continué à fonctionner sous la colonisation et qui perdure encore sous la néo-colonisation.

Ce qui se traduit dans les îles par les moments de tension souvent répétés entre la minorité largement aisée et la grande majorité démunie et vivant presque sous le seuil de la pauvreté.

Même situation dans les anciennes colonies devenues « indépendantes », notamment les pays africains où les néo-colons continuent de parader comme au temps de l’esclavage, en narguant les populations par leur présence dans les bases militaires françaises. L’exclusivité des richesses minières et agricoles en préférence aux mains des sociétés françaises pour une non redistribution équitable crée une frustration qui engendre la haine des peuples contre les occupants.

Cette haine s’exprime par de violentes attaques contre les ressortissants français à chaque éclatement d’émeute dans ces pays. Ressortissants que les populations identifient à leurs malheurs.

Les prises d’otages français dans certaines régions d’Afrique, devenues récurrentes sont à méditer et à classer dans cette même rubrique.